Qu’entend-on par « design de collection » ? Quelles sont les caractéristiques et tendances de ce marché ? Quel est le profil des collectionneurs ? Comment aborder l’achat de tels objets ? Laurent Issaurat, responsable du service Art Banking de Société Générale Private Banking, interroge Sabrina Dolla, directrice du département Design d’Artcurial.
Sabrina Dolla
Après un DEA de droit des affaires, Sabrina Dolla soutient un mémoire sur la fin du monopole des commissaires-priseurs en droit européen de la concurrence, l’amenant à découvrir cet univers passionnant.En 2000, elle débute chez Maîtres Jacques et François Tajan, alors première étude de France, où elle organise dès 2002 les premières ventes spécialisées de design.
Elle suit ensuite François Tajan chez Artcurial où elle s'occupe des ventes Art Déco avec Félix Marcilhac, expert de renommée mondiale, avant de prendre en 2020 la direction du pôle Art Déco / design. Son expertise et son expérience lui permettent de balayer tout le siècle et de vendre du mobilier important de Pierre Chareau, Eckart Muthesius, Jean Prouvé, Charlotte Perriand ou encore Jean Royère en atteignant des résultats remarquables.
Grâce à une équipe pluridisciplinaire, le département design couvre aujourd’hui tous les domaines d’expertise du design français et international.
Sabrina, qu’entend-on par « design de collection » ?
Ce terme - ou « collectible design » - se rapporte pour moi au design contemporain (du XXIe siècle), édité en un petit nombre d’exemplaires. Il peut englober également le design d’après-guerre (des années 50 à 80), voire les « arts décoratifs du XXe siècle » (l’Art nouveau et l’Art déco) ; par essence eux aussi tout aussi rares et donc eux aussi, « de collection ». Ce terme désigne donc les pièces de design rares, en éditions limitée ou présentant un intérêt historique ou esthétique par opposition au design de masse, utilitaire dont on n’a pas conscience de la valeur.
Qu’est-ce qui fait la valeur d’un bel objet de design ? Que recherchent les collectionneurs aujourd’hui ?
La valeur d’un objet dépend de nombreux facteurs : son esthétique, en quoi il est novateur, marque une rupture ou tout simplement son confort ; la qualité des matériaux utilisés ou le savoir-faire nécessaire pour sa fabrication. Concernant les pièces anciennes, c'est son histoire, à qui a-t-il appartenu, a-t-il été fait pour un endroit spécifique ? Aujourd’hui, les collectionneurs cherchent un, deux ou les trois de ces facteurs, selon leur degré de connaissance, de possibilité financière ou de goût.
Quelles sont les tendances de marché du « design de collection » ?
C’est un marché qui se porte très bien car c’est un marché sain, non spéculatif. Peu de gens en réalité collectionnent le design au sens premier du terme, c’est-à-dire l’accumulent et le stockent dans des garde-meubles. La plupart des collectionneurs vivent avec et aiment avant tout s’entourer de belles choses. Le design est également devenu statutaire, identitaire, le reflet de sa personnalité, de son goût et de son œil. La France a été pendant des siècles le leader incontesté des arts décoratifs et reste encore aujourd’hui dans les premières places grâce à son savoir-faire, ses galeries, ses musées. Eileen Gray, Jean Royère, Jean Prouvé ou Charlotte Perriand restent au sommet et cela depuis plus de 20 ans. Paris reste la place forte des ventes aux enchères de design, beaucoup de ventes importantes s’y tiennent chaque saison. Les vendeurs sont principalement européens et les acheteurs viennent du monde entier, ils sont de plus en plus jeunes et ont une connaissance de plus en plus pointue du design. Les États-Unis sont un acteur majeur, New York étant une place importante en raison du nombre de collectionneurs mais également parce que c’est le lieu où les collections constituées dans les années 80 aux États-Unis se revendent. Londres a perdu de son attractivité depuis le Brexit.
Y a-t-il des écoles de design ou des créateurs particulièrement en vogue aujourd’hui ?
Concernant le design des années 60, le design italien reste une référence car ces derniers ont inventé le design moderne grâce à leur outil de production industriel et leurs éditeurs visionnaires. La production est importante, il y a encore beaucoup de choses à redécouvrir, notamment dans les créations d’Afra et de Tobia Scarpa, de Nanda Vigo, de Vico Magistretti, de Franco Albini ou d’Ico Parisi. Concernant le design contemporain, les créateurs néerlandais, issus pour la plupart de la Design Academy d’Eindhoven, comme Droog Design, Studio Job, Joris Laarman ou Hella Jongerius ont le vent en poupe. Les designers français ne sont pas en reste, Pierre Charpin, Ronan et Erwan Bouroullec, Martin Szekely ou Noe Duchaufour-Lawrance sont des valeurs sûres.
Quels conseils pour bien choisir ou bien acheter, quels sont les ordres de prix ?
Aujourd’hui, l’accès aux informations concernant le design s’est démocratisé, notamment par le biais d’internet. Il en est de même avec les salles de vente, leur catalogue est en ligne et leur exposition gratuite et accessible à tous. Les fréquenter est, à mon avis, un des meilleurs moyens de se former l’œil. Avant de sauter le pas de l’achat, si vous ne pouvez pas vous déplacer, vous pouvez demander un rapport de condition qui est un descriptif détaillé de l’état du bien. De plus, les maisons de vente offrent une responsabilité quinquennale sur l’authenticité de l’objet. En termes de choix, il faut se faire confiance, aller vers ce qui nous plaît et se renseigner ensuite. Si vous trouvez le même objet à vendre sur internet sur de multiples sites, à de multiples prix, c’est là qu’il faut se méfier. L’avantage du design est qu’il est accessible dès quelques centaines d’euros. Évidemment, l’exceptionnel se vend à de très hauts prix, mais pas toujours… Le meilleur exemple est celui des objets des Lalanne édités et vendus par la galerie Artcurial : un mouton en pierre acheté en 1993 l’équivalent de 18 000 €, s’est revendu dans une vente chez Artcurial en 2022, 400 000 € ! Idem avec les lampes pigeons qui étaient vendues environ 1 500 € en 1993 et se revendent chez nous en moyenne 50 000 € ! Toutes les conditions sont réunies : des artistes talentueux, collectionnés par les plus importants prescripteurs de l’époque, une mise de départ relativement élevée et une durée de possession de 30 ans.
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