Avec la crise bancaire de 2008 et l’émergence de craintes quant au tarissement des liquidités bancaires, de nouvelles sources de financement sont apparues depuis plus de 10 ans pour les entreprises en développement. Parmi celles-ci, nous nous intéressons dans cet entretien au mode de financement direct qu’est la dette privée avec l’un de ses pionniers, notre partenaire Tikehau Capital.
Cécile Mayer-Lévi, Directeur de l’activité de dette privée chez Tikehau Capital, nous présente ce mode de financement et son intérêt potentiel pour les investisseurs dans le contexte, à la fois inflationniste et toujours plus en recherche de durabilité, que nous connaissons actuellement.
Cécile Mayer-Lévi
Cécile Mayer-Lévi a rejoint Tikehau Capital en 2013 et est Directeur de l’activité de dette privée.Auparavant, elle a travaillé chez AXA Private Equity (devenu Ardian) où elle a initié en particulier l’extension du spectre d’investissement au financement unitranche en insistant sur la notion de partenariat. Cécile a commencé sa carrière en 1988 chez Merrill Lynch (Corporate Finance et Fusions & Acquisitions) à Paris puis à New York. En 1991, elle a rejoint Elig, un des fonds pionniers du Capital Investissement en France. En 2001, elle s’est orientée vers l’Investissement en Mezzanine en devenant Directeur d’Investissement de CAPE - Mezzanis (devenu Omnes).
En quoi consiste un investissement en dette privée ?
La dette privée est un outil de financement par un emprunt non-bancaire. Il s’agit donc d’une source de financement alternative aux prêts bancaires traditionnels et aux émissions obligataires sur les marchés financiers. Cet outil de financement est utilisé principalement par les PME et ETI(1) qui recherchent un financement confidentiel plus flexible et rapide qu’un financement bancaire classique.
Cette dette, par nature non cotée, offre aux investisseurs une prime d’illiquidité qui devrait permettre d’améliorer le rendement potentiel de l’investissement(2). La dette levée peut être ensuite utilisée par la société pour financer de la croissance organique, une acquisition ou lors d’une transmission de l’entreprise. Les prêts accordés sont généralement in fine : la société rembourse le capital à l’échéance, ce qui lui laisse à disposition de la trésorerie pour mener ses projets de croissance organique et d’investissements.
Comment fonctionne ce type d’investissement ?
Un fonds de dette privée sélectionne les sociétés qu’il souhaite financer. Cette sélection passe par une étude approfondie des sociétés pressenties sur le plan financier, mais également sur le plan extra-financier.
Une fois l’entreprise sélectionnée et la négociation terminée avec le management de celle-ci, la dette est mise en place dans un délai habituellement court. Le prêteur touche alors généralement une commission de structuration sur l’opération, puis, par la suite, il percevra trimestriellement ou semestriellement des intérêts contractuels. La dette est en général à taux variable, c’est-à-dire indexée sur un des taux interbancaires de référence.
À l’échéance de la dette, la société rembourse l’intégralité du capital apporté par le prêteur. Ce mécanisme permet, en tant qu’investisseur, une visibilité sur les flux de trésorerie associés à l’investissement.
Un tel mode d’investissement est-il pertinent dans le contexte macro-économique actuel, caractérisé par une forte hausse de l’inflation ?
Dans un contexte inflationniste incertain comme nous pouvons le vivre actuellement, la dette privée est un investissement à visée protectrice. Le fait d’intervenir au niveau de la dette de la société permet d’avoir une priorité de remboursement en cas de défaut. Le risque associé à l’investissement apparaît par conséquent typiquement plus faible qu’un investissement en capital dans une entreprise(2). Notons qu’un tel investissement représente un risque de perte partielle ou totale en capital.
De plus, dans l’environnement actuel, marqué par une remontée des taux interbancaires qui pourraient continuer à progresser, la situation est favorable au prêteur qui peut ainsi bénéficier d’un taux plus élevé sans souffrir de baisse de valorisation, les taux étant généralement variables.
Les enjeux sur le réchauffement climatique sont forts actuellement, les prêteurs peuvent-ils imposer des critères extra-financiers sur la décarbonation ?
La finance joue selon nous un rôle clé dans la décarbonation, en soutenant les initiatives pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et en investissant dans les technologies propres et les énergies renouvelables. En tant qu’investisseur, nous pensons qu’il est important d’accompagner les entreprises privées dans leur plan de décarbonation pour atteindre les objectifs des accords de Paris(3).
Sur certaines dettes privées, un mécanisme d’ajustement du taux d’intérêt appliqué en fonction de l’atteinte d’objectifs de réduction des gaz à effet de serre commence à se mettre en place. Tikehau Capital est d’ailleurs un des pionniers européens dans ce domaine. Ce mécanisme repose sur la mise en place d’un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, idéalement en phase avec les accords de Paris, puis sur un suivi des émissions des gaz à effet de serre des sociétés chaque année pour vérifier si l’effort de réduction est atteint. Si cet effort est en ligne avec le plan mis en place, la société obtient une réduction du taux d’intérêt de sa dette. À l’inverse, une société qui n’atteint pas ses objectifs verra son taux d’intérêt augmenter.