Le marché des montres de collection connaît un fort engouement, porté par une passion croissante pour l’horlogerie de prestige et l’attrait des pièces rares. Entre investissement, héritage et fascination pour le savoir-faire, ces objets suscitent l’intérêt des amateurs comme des collectionneurs aguerris. Entretien entre Laurent Issaurat, responsable du service Art Banking de Société Générale Private Banking et Mathieu Ruffat, spécialiste des montres pour Amériques & EMEA(1) chez Christie’s.
Mathieu Ruffat
Fort d’une expérience à Dubaï et à Hong Kong, Mathieu Ruffat est un spécialiste reconnu de l’horlogerie chez Christie’s, où il exerce désormais en tant qu’expert international entre les bureaux de Genève et de New York. Depuis cinq ans au sein de la maison, il a joué un rôle clé dans l’organisation de ventes ayant battu des records. Originaire de Paris, Mathieu est passionné par les montres-bracelets Patek Philippe, vintages et compliquées, témoignant de son profond attachement à l’art horloger et à son histoire.Qu’est-ce qu’une « montre » et quels sont les grands moments de l’histoire de l’horlogerie ?
Selon le dictionnaire Larousse, une montre est définie comme « un petit appareil portatif, fonctionnant dans toutes les positions, servant à donner l’heure et d’autres indications ». Les « horloges » apparaissent dès le 13e siècle, mais la première « montre » est inventée à Nuremberg en Allemagne par Peter Henlein, autour de 1510. À la fin du 16e siècle, le comte de Leicester a l’idée d’attacher une montre à un bracelet et d’offrir cet objet à la reine Elizabeth 1re, donnant ainsi naissance à la montre-bracelet. En 1777, un horloger suisse, Abraham-Louis Perrelet, met au point la première montre mécanique « automatique », capable de se remonter grâce au mouvement du porteur, une technologie rapidement adoptée et améliorée par Abraham-Louis Breguet. Jusqu’à la fin du 19e siècle, les montres-bracelets sont surtout portées par les femmes, les hommes préférant les montres de poche, également appelées « de gousset ». Ce n’est qu’au début du 20e siècle, lors de la guerre des Boers, que la montre portée au poignet des soldats a prouvé son efficacité et s’est imposée auprès du public masculin. Dans les années 1970, l’apparition de la montre à quartz, alimentée par une batterie, chamboule l’industrie horlogère, mais suscite peu d’engouement auprès des collectionneurs, à quelques exceptions près.
Comment définir une montre « de collection » et quels sont les critères qui font sa « valeur » ?
Chacun peut avoir sa propre définition en fonction de ses centres d’intérêt, mais on peut affirmer que la montre de « collection », désignée en anglais sous le vocable de « time piece », se distingue de la montre ordinaire par une série de qualités, telles que la technologie (mécanique - à remontoir ou automatique, par opposition à la batterie-quartz), la précision (qui doit être mesurable), le nombre de « complications »(2), la marque, la provenance et l’histoire, la rareté (le nombre d’exemplaires de fabrication et/ou en circulation), l’état de conservation et, bien entendu, son adéquation au goût du jour.
À ce sujet, quelles sont les marques les plus en vogue aujourd’hui ?
On distingue traditionnellement les leaders absolus, tels que Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet des « Horlogers Indépendants » (« Independent Watchmakers ») qui connaissent actuellement un essor, produisant des quantités très limitées d’unités. Parmi ces derniers, on retrouve des marques telles que F.P. Journe, Philippe Dufour, George Daniels, Rexhep Rexhepi, Richard Mille ou Kari Voutilainen. Ces fabricants indépendants sont souvent des maisons horlogères relativement récentes et qui ont su s’imposer très rapidement sur le marché secondaire. En termes de poids de marché, à titre indicatif, lors de la dernière vente « Geneva Rare Watches » de Christie’s, Patek Philippe représentait 31 % du nombre de lots, Rolex 29 %, Audemars Piguet 12 % et les Indépendants 14 % sur un total de 164 montres proposées. En outre, on constate actuellement un fort engouement pour les montres asymétriques, dans l’esprit de Cartier Crash, Cartier Tank Asymétrique ou Patek Philippe Gilbert Albert.



BREGUET, A POSSIBLY UNIQUE WHITE PERPETUAL CALENDAR RETROGRADE DATENO. 3218, FROM PAUL IRIBE, LOVER OF COCO CHANEL, C. 1935, SOLD FOR 1’920’500 CHF
PHILIPPE DUFOUR, YELLOW GOLD GRANDE AND PETITE SONNERIE MINUTE REPEATER, NO., C. 1992, SOLD FOR 5’127’000 CHF
AUDEMARS PIGUET, MICHAEL SCHUMACHER’S UNIQUE WHITE GOLD ROYAL OAK CELEBRATING SIX FORMULA 1 WORLD CHAMPIONSHIPS, REF. 25960BC, C. 2003, SOLD FOR 415’800 CHF
Quelles sont les grandes tendances du marché des montres de collection ?
Chez Christie’s, les ventes de montres se sont fortement développées au cours des cinq dernières années, passant de 150 millions de dollars à 250 millions de dollars entre 2019 et 2023, ce qui est un indicateur de la vitalité du marché. Après une forte croissance, à la sortie de la crise sanitaire (COVID), le marché s’est consolidé en 2023, pour reprendre des couleurs au premier semestre 2024.
Quel est le profil type du collectionneur ?
D’abord, notons que le collectionneur type est présent sur tous les continents, avec une demande relativement équilibrée sur l’ensemble des régions, 36 % des acheteurs viennent d’Asie, tandis que les autres se répartissent entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (33 %) et les Amériques (30 %). Il s’agit d’un univers principalement masculin, 90 % de nos acheteurs étant des hommes. La moyenne d’âge se situe à 49 ans et la relève est déjà bien engagée. La génération Z (personnes nées entre 1997 et 2010) représente 35 % des acheteurs. Les budgets sont très ouverts, avec un seuil d’entrée situé autour de 5 000 francs suisses, via les ventes en ligne. C’est donc un marché relativement accessible, même si certains exemplaires peuvent se vendre plusieurs millions (Christie’s détient le record absolu en la matière, avec une Grandmaster Chime de Patek Philippe, vendue pour 31 millions de francs suisses en 2019).
Quels conseils à l’achat pour l’amateur néophyte ?
La première étape essentielle consiste à se prémunir du risque de contrefaçon. Ce dernier est particulièrement élevé lorsqu’on passe par certains sites de mise en relation avec des vendeurs qui ne garantissent pas de visibilité suffisante en termes de traçabilité et/ou inspection préalable des objets. Ces mesures demeurent essentielles pour vérifier que toutes les pièces sont d’origine. Avec Christie’s, l’acquéreur bénéficie de l’assurance que ces contrôles ont été effectués sous notre responsabilité, offrant une sécurité appréciable en matière d’authenticité.
Ensuite, une fois la pièce achetée, il est possible de suivre sa valeur dans le temps en fonction de la liquidité du marché sous-jacent, par exemple à travers les résultats de ventes aux enchères, tant pour les montres modernes (produites depuis 2000) que pour les pièces vintage (produites jusqu'aux années 1990). Il est primordial que le collectionneur prenne du plaisir à porter ses montres selon les occasions. Ainsi, il est essentiel d'acheter ce qui vous plaît en priorité.
Pour tout complément d’information, votre Banquier Privé et Laurent Issaurat se tiennent à votre disposition.