C’est en mars 2018 que Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris, ont remis leur rapport sur « Entreprise et intérêt général ». Ce rapport très commenté à l’époque a directement inspiré la loi Pacte de 2019, qui a notamment introduit la qualité de « Société à Mission(1) ».
Depuis, ce sont de nombreuses entreprises de toutes tailles et de tous secteurs qui ont adopté cette qualité et la communauté des entreprises à mission regroupe plus de 426 membres à ce jour. C’est avec son co-président que nous nous entretenons aujourd’hui : Guillaume Desnoës, dirigeant et co-fondateur d’Alenvi.
Guillaume Desnoës
Passionné par la résolution de problèmes sociaux, Guillaume a créé en 2008 la plate-forme Alvarum et la Course des Héros, événement de collecte de dons mobilisant plus de 2 millions d’euros par an. Il a co-fondé en 2016 l’entreprise sociale Alenvi dont la raison d’être est d’humaniser l’accompagnement de ceux qui ont besoin d’aide ou de soin, en valorisant les professionnels et en réconciliant les enjeux humains et économiques du secteur du “prendre soin”. Alenvi développe un service d’aide à domicile pour les personnes âgées, un centre de formation pour professionnels du “prendre soin” focalisé sur la dimension humaine de ces métiers, sous la marque Compani et un réseau d’habitats partagés pour des personnes âgées ayant des troubles cognitifs, sous la marque Biens Communs. Guillaume est aussi engagé pour la promotion de l’entrepreneuriat responsable. Il est l’auteur du livre Unpacte « Et si les entrepreneurs avaient leur serment d’Hippocrate ? » et, avec ses associés, du livre La société du Lien « La révolution du comment ».Guillaume, vous avez participé à notre conférence sur les fragilités liées au grand âge en décembre 2023 où vous nous avez expliqué votre proposition de valeur dans le domaine de l’habitat partagé. Pouvez-vous revenir sur les convictions qui ont inspiré la création d’Alenvi et quel est son projet ?
Alenvi est né du constat que le secteur de l’aide à domicile pour les personnes âgées était en mauvaise santé, abîmé et fragile. Alors que les métiers de soins ont pour vocation d’accompagner humainement la vulnérabilité, ces métiers ont parfois été dévalorisés et déshumanisés. Or, nous avons la conviction que ce n’est pas une fatalité et qu’il est possible de transformer ce secteur pour lui donner toute sa place sociétale. L’objectif du projet d'Alenvi est d’humaniser l’encadrement des personnes âgées à grande échelle et de transformer le secteur, en répondant à un double défi : comment répondre au nombre croissant de personnes qui ont besoin d’aide ou de soin, tout en renouant avec la nature profondément humaine des métiers concernés ?
Nous avons créé l’entreprise en 2018 sous la forme d’entreprise ESUS(2) et avons opté pour la qualité de société à mission dès 2019. Nous sommes présents en Île-de-France pour notre activité d’aide à domicile et dans toute la France pour notre activité de formation avec près de 100 collaborateurs.
Quelle est donc cette mission et comment se traduit-elle concrètement ?
Nous avons d’abord défini notre raison d’être qui est d’« Humaniser l’accompagnement des personnes qui ont besoin d’aide ou de soin, en valorisant les professionnels et en réconciliant les enjeux humains et économiques du secteur ». Pour mesurer l’atteinte de cette mission, nous avons défini des objectifs mesurables comme celui d’améliorer en continu les conditions de travail des professionnels de l’accompagnement, de donner accès à la formation pour réinventer ces métiers ou de rompre l’isolement social et de créer des liens humains autour des publics que nous aidons. Nous avons également retenu, entre autres, un objectif relatif à la minimisation de l’impact environnemental de notre activité.
Cette mission nous conduit à travailler en co-création avec les auxiliaires de vie et les autres professionnels du secteur.
Alenvi va fêter en 2024 ses 6 ans d’existence : quel bilan tirez-vous de votre engagement dans un secteur qui est sous haute surveillance ?
Je dirai tout d’abord que notre première intuition s’est révélée juste : les auxiliaires de vie ont un sens du lien social très fort et c’est une qualité qu’il faut valoriser, encourager et développer – d’où notre offre de formation. Bien employée, cette qualité permet en effet de mettre plus d’humanité dans l’accompagnement des personnes âgées. Nous avons également confirmé une seconde intuition : lorsqu’on laisse plus d’autonomie aux personnes pour organiser elles-mêmes leur travail, on les rend plus actrices, mais aussi plus efficaces et engagées dans leurs missions. Nous proposons en effet aux auxiliaires de vie de se regrouper par 7 ou 8 et de travailler ensemble au quotidien sur un territoire. Nous leur fournissons tout le support possible notamment en matière de gestion d’agenda tout en les laissant assez autonomes dans leur quotidien. Et ça marche.
Aujourd’hui, notre réseau agit auprès de 250 personnes âgées, principalement en région parisienne, avec un engagement des auxiliaires de vie très fort. Grâce à cette reconnaissance, l’absentéisme est chez nous très inférieur à la moyenne du secteur (6 % contre 15 %).
Venons-en maintenant à Biens communs, votre nouvelle entreprise fondée en 2022. En quoi consiste-t-elle ?
En France, lorsque l’âge avance et qu’on devient moins indépendant, les solutions ne sont pas très nombreuses. Disons schématiquement que si vous avez les moyens financiers, vous pouvez rester à domicile avec des personnes qui vous aident, sinon c’est la solution de la maison de retraite voire de l’Ehpad qui s’offre à vous. Il existe une alternative : celle des habitats partagés qui sont nombreux chez nos voisins européens mais encore trop peu répandus en France. Avec l’entreprise Bien Communs, nous voulons ouvrir partout en France des lieux de vie partagés dans lesquels les personnes en perte d’autonomie sont chez elles, tout en étant accompagnées. Nos habitats sont de petites structures ouvertes aux proches et rassurantes puisqu’une équipe d’auxiliaires de vie, sans blouse blanche, formée en continu est présente pour aider les gestes quotidiens et surtout pour créer du lien.
Créer du lien, c'est un mantra chez vous Guillaume !
Oui, vous ne croyez pas si bien dire ! À tel point que j’ai écrit avec mes deux associés le livre « La société du lien » édité en 2021(3) qui est un plaidoyer pour faire bouger le secteur du grand âge et la société dans son ensemble.