Alors que la plupart des pays européens transposent en ce moment même dans leur droit interne la Directive Pilier II – introduisant notamment l’impôt minimum de 15 % sur les profits des multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 M€, Donald Trump a publié le 20 janvier 2025 deux « executive orders(1) » dans lesquels les États-Unis remettent en cause leur participation aux accords GloBE(2). Donald Trump confirme que le volontarisme américain en matière fiscale ne se limitera pas aux seuls droits de douane. Résolus à ne pas se laisser préempter des recettes fiscales, les États-Unis dénoncent la portée extraterritoriale de ces accords auxquels ils étaient pourtant partie prenante dès 2017. Un tel retrait des États-Unis de l’accord OCDE mettrait probablement à mal la mise en œuvre de l’impôt minimum mondial.
Dans son article paru le 24 janvier 2025 consultable sur le site « Club des juristes », Me Daniel Gutmann présente les mesures de rétorsion que l’administration Trump met dans la balance des négociations :
- une augmentation des taux de retenue à la source sur les revenus de source américaine perçus par des citoyens de pays pratiquant une imposition « injuste » à l’égard des entreprises américaines ;
- et le doublement de l’imposition des revenus des personnes physiques ressortissantes d’États dont la législation fiscale est « discriminatoire » à l’endroit des États-Unis.
Avec un ratio de dette sur PIB d’environ 120 %, les États-Unis jouissent d’un privilège de la dette qu’ils tirent de la force de leur monnaie. Les finances publiques américaines ont connu une forte dégradation pendant la période Covid, se traduisant par une baisse des recettes fiscales en même temps qu’une augmentation des dépenses. À l’instar de la France, le déficit budgétaire américain devrait se situer autour de 5,5 %. L’analogie avec la situation française ne saurait aller plus loin tant la situation politique, économique et budgétaire entre nos deux nations diverge.
Au-delà de cette lecture technique ou budgétaire du sujet, il nous paraît intéressant de rappeler à quel point la fiscalité est un sujet éminemment politique.
Walter Lippmann(3) en 1943 théorisait les conditions de la solvabilité d’une politique étrangère. Pour résumer simplement la pensée de W. Lippmann, une puissance qui a des prétentions de politique extérieure doit se donner les moyens de ses ambitions. Ainsi, l’articulation entre politique extérieure et politique intérieure est la clé de voûte de la puissance d’une nation.
Faute d’une bonne adéquation, un fossé se crée entre objectifs et moyens. Étant entendu que Lippmann ne réduit pas les moyens de la puissance d’une nation à ses seules capacités militaires, il met en évidence l’importance de la solvabilité de la politique étrangère au moyen d’un modèle étatique efficace qui emporte l’adhésion de la population.
Dans « Geopolitics and Democracy(4) », Brian Burgoon et Peter Trubowitz développent l’idée d’un « fossé de Lippmann » qui est à l’œuvre dans nos démocraties occidentales entre les gouvernants et les classes moyennes ; ces dernières ne soutenant plus les ambitions internationales de leurs dirigeants. Perdantes du cycle économique de mondialisation, ces classes moyennes n’adhéreraient plus au modèle libéral des échanges internationaux.
La question de la fiscalité des entreprises internationales et de leurs pratiques est constitutive des éléments déceptifs de la mondialisation des économies et participe à ce fossé et il est désormais évident que le 47ᵉ Président des États-Unis, chantre du protectionnisme, souhaite combler ce fossé.