Décryptage avec Franklin Wernert, Directeur Le29H, Société Générale Private Banking France.
La liquidité a de nouveau un coût
En septembre 2022, des fonds de pension britanniques recherchent ardemment des liquidités pour faire face à des appels de marges liés à des produits financiers simples dans lesquels ils ont investi, obligeant la Banque d’Angleterre à intervenir rapidement et massivement en soutien.
En décembre 2022, quelques fonds d’actifs non-cotés gérés par des acteurs américains de référence mondiale dans l’immobilier et le private equity (capital investissement) ne parviennent pas à faire face aux importants rachats d’investisseurs, et doivent donc trouver de nouvelles liquidités qui leur sont apportées à des coûts importants.
En janvier 2023, pour la première fois depuis près de dix ans, le rendement des emprunts de l’État japonais à dix ans dépasse le plafond fixé par la Banque du Japon, dans un pays pourtant accoutumé à une politique monétaire ultra-accommodante : après des années de taux d’intérêt nuls, voire négatifs, plus aucun acteur souverain ne se finance sans en assumer la charge.
En mars 2023, la banque californienne SVB, spécialisée dans le secteur de la technologie, affronte un mouvement soudain de sorties massives de ses dépôts ; en manque de liquidités, la banque fait faillite.
Ces quatre événements présentent un facteur déclencheur commun, absent de la dernière décennie écoulée : la raréfaction de la liquidité, et subséquemment la hausse de son coût. La liquidité est en effet redevenue une ressource rare dont la mise à disposition, y compris à des États sérieux au plan budgétaire et prometteurs au plan économique, se paie. Ce qui est vrai des acteurs souverains les plus rigoureux l’est d’autant plus pour les acteurs économiques comme les entreprises, les fonds d’investissement, les start-ups ou les particuliers, aussi séduisants soient leurs projets.
Ce coût résulte du retour de l’inflation, dont les facteurs structurels apparaissent puissants
Si les excès, l’extravagance, voire les périls, de la décennie d’argent facile, peu onéreux et abondant semblaient profondément ancrés dans notre modèle économique, ce brutal renversement de tendance procède du retour de l’inflation dans des économies développées qui avaient eu tendance à croire qu’avec la mondialisation des échanges et des capitaux, les prix pouvaient durablement demeurer maîtrisés et les taux d’intérêts, extrêmement faibles. Précisément, l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001, en augmentant de près de moitié la force de travail mondiale et en abaissant son coût moyen, avait constitué un choc d’offre considérable, puissamment déflationniste(1) pour l’économie mondiale.
Or l’inflation ne se nourrit pas que de causes conjoncturelles, que la déstabilisation des chaînes de production et commerciales due à la Covid puis à la guerre en Ukraine ont provoquées, mais également de transformations structurelles de l’économie mondiale.
D’abord la démondialisation, ou à tout le moins la régionalisation de l’économie mondiale, repose sur des échanges qui ont tendance à davantage s’organiser à l’échelle d’un bloc économique qu’à l’échelle planétaire, et ce pour des raisons de reprise en main par les États de productions stratégiques (médicaments, énergie, défense, probablement avant l’alimentation à venir), amplifiée par la résurgence des risques géopolitiques et politiques, aussi bien que pour des raisons d’impact environnemental de chaînes de production jusqu’alors très dispersées et, partant, peu compatibles avec les nouvelles normes et attentes des consommateurs.
De plus, la démographie devrait être marquée par un ralentissement de sa croissance(2), jusqu’à atteindre un pic à moyen terme, et son vieillissement, avec pour conséquence une moindre force de travail disponible et donc une pression salariale à la hausse.
Ensuite, la transition énergétique nécessite des investissements considérables dont les premières estimations avancées de montants laissent déjà entrevoir un effet d’éviction au détriment d’investissements dans d’autres domaines, qui devront par conséquent mieux rémunérer les liquidités apportées. Au-delà, les normes environnementales et sociales de production s’avèrent plus exigeantes, et les productions plus coûteuses.
Enfin, les économies occidentales subissent les conséquences de la conversion en trente ans d’une économie productive, reposant principalement sur l’industrie et l’agriculture et générant d’importants gains de productivité, à une économie davantage basée sur la consommation, la logistique et la technologie, mobilisant de bien moindres gains de productivité et dessinant une tendance de fond inflationniste.
D’ailleurs, cette hausse des prix semble désormais propagée aux prix des produits les moins élastiques(3), ainsi qu’aux salaires, dans un contexte de chômage faible et de pénurie de main d’œuvre dans certains métiers, enclenchant une spirale malaisée à interrompre.
Quelles conséquences pour un investisseur ?
Dans ce contexte, les banques centrales, qui y jouent leur crédibilité, ne peuvent prendre le risque d’inverser trop rapidement leur mouvement de resserrement monétaire – les taux d’intérêt demeurant par surcroît, sur un temps long, à des niveaux bas. Aussi la capacité des émetteurs de titres à capter de la liquidité à des coûts raisonnables, et donc la confiance qu’ils inspirent aux investisseurs, apparait-elle comme un critère essentiel de leur résilience et de leur potentiel de croissance.
L’inflation persistante et le niveau des taux d’intérêts requièrent d’investir, pour ne pas détruire de la valeur. Pour ce faire, la sélectivité constituera le meilleur garant de la détection des opportunités.
Car les tendances que dessinent cette rareté et cette dispersion de la liquidité reflètent autant de thématiques d’investissement, inscrites sur le long terme et qui capteront l’essentiel de la croissance à venir : transition énergétique, sécurité alimentaire, développement et digitalisation du secteur de la santé, renforcement des appareils de défense et de cybersécurité, etc. Pour miser sur ces grandes tendances, les investisseurs devront sélectionner les émetteurs de qualité et les plus résilients, suscitant la confiance par la solidité de leur bilan, la gestion rigoureuse de leur endettement et de leur trésorerie, l’accès à des apporteurs de liquidité diversifiés, la qualité de leur gouvernance et la pertinence de leur stratégie, intégrant bien les grands enjeux du moment.
Décrypter, sélectionner, partager nos convictions, placer au moment opportun : notre engagement, comme Banque privée, est de vous accompagner au mieux, avec prudence et discernement, dans cet environnement.