Pauline de Laboulaye
Réunir patrimoine et création contemporaine : tel est le but de Voisins de campagne, une aventure artistique singulière, portée par cinq propriétaires de demeures en Seine-Maritime. Le principe : des artistes choisis par un commissaire d’exposition en lien avec le Centre d'art contemporain de Normandie (le Shed) investissent ces demeures, en résidence, pour y produire des œuvres originales, en résonance avec les lieux. Laurent Issaurat, Responsable de notre Service Art Banking(1) a rencontré Pauline de Laboulaye, propriétaire du Manoir du Quesnay, à Saint-Saëns, à l'origine de ce projet.
Pauline, qu’est-ce que Voisins de campagne ?
Voisins de campagne est une aventure artistique collective. Nous sommes quelques propriétaires de demeures anciennes en Seine-Maritime, qui partageons les mêmes contraintes et aspirations. Ces demeures que nous habitons et entretenons sont conçues pour un autre temps, souvent inadaptées aux modes de vie actuels ; les faire vivre est donc un véritable défi. Chaque génération doit leur réinventer un usage, trouver le moyen d’en faire un objet de plaisir plutôt qu’un fardeau, une occasion de partage plutôt qu’une tour d’ivoire, un outil pour penser le futur à la lumière du passé.
Or qui mieux qu’un artiste peut porter un regard nouveau et sensible sur un lieu et contribuer à lui redonner du sens ? Voisins de campagne, ce sont des résidences artistiques d’un nouveau type. Nous, propriétaires, invitons des artistes contemporains à investir nos lieux de patrimoine. Ils s’inspirent d’un bâtiment, d’un paysage, d’une histoire pour expérimenter en toute liberté, loin de la pression du marché. En tant qu’hôte, nous renouons avec la tradition d’hospitalité qui caractérisait les princes mécènes d’autrefois, ouverts à l’aventure, laissant place à l’inattendu et à la générosité réciproque.
Comment vous est venue l'idée de créer Voisins de campagne ?
Après d’importants travaux dans sa propriété en Normandie, un de nos voisins se demandait comment en faire un lieu de rayonnement culturel et artistique. Il a réuni d’autres propriétaires des environs et m’a demandé d’y réfléchir. Tout d’abord, il fallait pouvoir s’appuyer sur une structure artistique locale capable de faire des propositions et de les mettre en œuvre. Je suis allée voir la direction des affaires culturelles de la région, la DRAC, qui m’a donné quelques pistes. C’est comme ça que nous avons rencontré le couple qui venait tout juste de fonder le Shed, Centre d’art contemporain de Normandie, un lieu de stockage, de fabrication et d’exposition créé par un groupe d’artistes dans une ancienne usine de mèches de bougies de la banlieue industrielle de Rouen. En discutant avec ses responsables, l’artiste Jonathan Loppin et la commissaire d’exposition Julie Faitot, nous avons opté pour des résidences dans lesquelles les hôtes-mécènes mettent à disposition leur lieu afin de permettre à un artiste de mener une recherche et de réaliser un projet sur place.
Pourriez-vous nous parler des hôtes ? Quels sont leurs profils ? Sont-ils nécessairement des passionnés d'art contemporain ?
Rares sont ceux qui sont vraiment passionnés d’art contemporain, ils sont même parfois un peu méfiants. Il faut dire que lorsqu’on choisit de vivre dans une maison ancienne remplie de meubles d’époque, on n’est pas forcément porté vers l’art contemporain. En même temps, ce sont tous des acteurs de leur temps, engagés dans les affaires ou la politique, ouverts et curieux de leur époque, soucieux d’innovation et capables de prendre des risques. Ce ne sont pas des héritiers mais des créateurs, chacun dans leur domaine.
Vous avez été mécène vous-même : pouvez-vous nous parler de l’artiste que vous avez hébergé dans votre lieu et de ses réalisations ? Qu'avez-vous tiré personnellement de cette expérience ?
La première fois, nous avons accueilli le photographe et vidéaste Cédric Eymenier. Nous avons beaucoup échangé, bavardé. Il a fait deux séjours d’une semaine puis le montage dans son atelier. Son film est une déambulation poétique à travers la maison désertée. Il met en valeur des objets éclairés par une lumière d’hiver inhabituelle et émouvante. C’est passionnant de redécouvrir un lieu à travers les yeux d’un autre, de le voir s’intéresser à des objets et à des détails que nous négligions, s’enthousiasmer pour le charme d’un potager un peu sauvage, d’un bric à brac de vieux outils encombrants, d’une collection de vieux disques à débarrasser, de le voir s’émerveiller devant des mauvaises herbes et des paysages que nous ne voyons plus. Le regard d’un visiteur sensible, attentif à la beauté et à la poésie du lieu, change la perspective, et même parfois la façon d’y vivre.
Votre initiative a-t-elle créé des émules dans d'autres régions de France ? Quels conseils donneriez-vous à ceux ou celles qui envisageraient de se lancer dans une initiative inspirée de Voisins de campagne ?
Voisins de campagne est un label. Après Voisins de campagne en Normandie, on pourrait en effet avoir Voisins de campagne en Bourgogne, en Alsace etc. Le plus important est de trouver les bons interlocuteurs et de bien s’entendre sur l’objectif et le coût. Pour les interlocuteurs, la DRAC peut fournir des noms de centres d’art, de musées ou d’autres structures professionnelles sur lesquels s’appuyer. Il faut qu’elles soient solides et compétentes et puis leur faire confiance. Ensuite il faut des voisins motivés et bien placés sur un parcours. Pour l’objectif, il est important de s’accorder sur la définition du mécénat. Il ne s’agit pas d’une commande individuelle pour son jardin mais d’une démarche collective et totalement désintéressée, ouverte à l’incertitude d’une résidence de recherche. La défiscalisation suppose l’absence de contrepartie et l’accès au public.
Pour en savoir plus sur Voisins de campagne, vous pouvez consulter le site dédié en cliquant ici(2).