Avec près de 800 000 hectares de vignes, la France est le deuxième producteur mondial de vin. La production viticole représente 17 % de la production agricole totale nationale(1). Intéressons-nous aux tendances du foncier viticole français.
Le paysage viticole français, une mosaïque séculaire
Depuis les premières récoltes issues de la colonisation de la Gaule par les Romains, en passant par le travail méticuleux des moines catholiques de l’ordre Cistercien en Bourgogne, le paysage viticole français a considérablement évolué au fur et à mesure des siècles et permet à la France de détenir aujourd’hui une richesse inégalée au niveau mondial. Une richesse par la diversité des sols mais aussi par la diversité des techniques et celle des cépages utilisés.
En effet, les régions françaises présentent une grande hétérogénéité entre elles :
- en surface, de la plus grande, le Languedoc Roussillon (246 000 hectares) aux plus petites, comme le Jura (2000 hectares) ;
- sur les cépages utilisés (plus de 200 autorisés et 20 principaux)(2), définis ou non par le cahier des charges de l’appellation ;
- et même sur le vocabulaire utilisé ou les unités de mesure – c’est ainsi qu’une barrique bordelaise est plus petite de 3 litres que sa jumelle bourguignonne que l’on nomme « pièce », par exemple.
Évolution du prix de l’hectare : deux grandes tendances
Assez logiquement, les prix à l’hectare des différentes régions se sont aussi différenciés dans le temps. On peut ainsi distinguer deux groupes.
Le premier, qui représente environ 80 % des surfaces, et comprend les vins dits « génériques », ne voit pas ou peu d’évolution dans leur prix ces vingt dernières années. Ce qui ne signifie pas un manque d’intérêt pour autant. En effet, sur les 9 400 transactions viticoles réalisées en 2021, représentant 17 400 hectares, pour un chiffre record de 1,1 milliard d’euros, bon nombre l’ont été sur ce premier groupe(2).
Le deuxième groupe quant à lui est composé de toutes les appellations d’origines protégées (AOP), de certains territoires plus rares ou plus petits. Ces appellations ont vu leurs prix à l’hectare augmenter en continu depuis plusieurs décennies avec pour certaines des multiples de 3, 5, 10 et même parfois plus.
Phénomène assez nouveau des dernières années, certaines régions ou appellations qui étaient historiquement plutôt dans le premier groupe peuvent évoluer dorénavant dans le second. Cela a été le cas en premier pour l’appellation Côte-Rôtie, et plus récemment, pour celle de Saumur Champigny et bien d’autres exemples pourraient être cités ici. On explique ces mouvements par différentes raisons : la qualité des vins qui y sont produits et qui s’est améliorée, quelques vignerons de talent qui tirent la région vers le haut, ou encore de nouveaux modes de consommation, comme pour l’appellation Côte de Provence, avec la hausse de la consommation de vin rosé observée ces dernières années.
En termes de prix, les premières transactions commencent à des niveaux proches de 10 000 € l’hectare et peuvent monter jusqu’à plusieurs millions d’euros voire des dizaines de millions pour quelques rares et exceptionnelles transactions, en Bourgogne principalement. Les prix moyens à l’hectare n’ont que très peu d’intérêt. Ainsi, dans la région Bordelaise, où plus de 3 000 hectares ont fait l’objet de transactions, les prix peuvent osciller de 6 000 € à 3 millions d’euros l'hectare. En Bourgogne également, le prix moyen est de 201 000 € mais on observe des transactions sur des parcelles, ou des ouvrées (428m2) avec des prix dépassant les 10 millions d’euros l’hectare(3).
Un marché très concurrentiel
Dans un marché mondial très concurrentiel avec l’apparition ces dernières années de nouveaux acteurs dans de nombreux pays (États-Unis, Afrique du Sud, Chili…), la hausse des prix constatés à l’hectare peut poser différents problèmes comme la difficulté d’accès au terroir de jeunes vignerons et des problèmes successoraux (les circuits de financement classiques ne pouvant pas toujours accompagner des exploitations sans rentabilité à court/moyen termes).
Cette croissance des prix de l’hectare entraîne aussi la hausse mécanique du prix des bouteilles, ce qui interdit l’accès des grands vins aux simples consommateurs. Grands vins qui en parallèle peuvent faire l’objet de spéculations à l’international et en particulier en Asie, ce qui alimente également la spirale haussière du foncier viticole de prestige.
Bien que régulé, ce marché de la transaction viticole reste libre et la dynamique observée ces dernières années continue, malgré des tentatives de la SAFER(4) (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) avec notamment une loi récente qui vise à assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires par un droit de préemption possible. La recherche d’actifs tangibles, le besoin de diversification et la passion liée à ce type d’investissement font partie des raisons mises en avant pour expliquer ce contexte de marché.
Des enjeux multiples pour la filière
L’avenir propose aussi de nombreux autres défis à la filière :
- le changement climatique en premier lieu, qui la poussera de façon certaine à évoluer ;
- le changement du cahier des charges des appellations et l’introduction de nouveaux cépages plus adaptés ;
- le changement des politiques sur l’irrigation ;
- le changement (déjà en cours) des modes de consommation, avec une recherche de vins plus « frais » et moins dosés en alcool.
La conversion des domaines pour tout ou partie aux techniques plus respectueuses de l’environnement est aussi un sujet d’actualité et d’avenir. Aujourd’hui, 14 %(5) des exploitations sont considérées comme étant en « Bio » mais la transition est lancée. C’est d’ailleurs un point de valorisation supplémentaire dans les transactions.
La vigne est présente depuis six millions d’années sur Terre et cultivée par l’homme depuis plusieurs millénaires, nul doute que malgré les changements à venir elle saura s’adapter !