Comment faire découvrir la musique baroque, pièce maîtresse de notre patrimoine musical, à tous les publics ? L’ensemble Artifices, fondé par Alice Julien-Laferrière, a choisi le thème de la nature. Ce sujet passionnait les contemporains de l’époque baroque et nous interpelle plus que jamais. Engagée pour la cause écologique, la violoniste revient sur l’art de combiner deux passions, la musique et la nature.
Alice Julien-Laferrière
Diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, Alice Julien-Laferrière a étudié le piano, le violon, les lettres modernes et le théâtre. En tant que violoniste, elle se spécialise dans l’interprétation des répertoires des 17e et 18e siècles et fonde son ensemble musical : l’ensemble Artifices qui cherche constamment des propositions originales pour aller à la rencontre des publics, petits et grands… Des concerts-conférences réunissent musiciens et scientifiques pour répondre aux questions d’hier et d’aujourd’hui. Des balades musicales amènent la musique dans la forêt. Des livres-disques associent musique et conte. Le succès est au rendez-vous et l’ensemble Artifices est invité à la Philharmonie de Paris comme dans les festivals européens. Il est soutenu par la Fondation Société Générale depuis 2021.Comment conciliez-vous nature et musique, vos deux passions ?
Je construis ma vie autour de choix artistiques en lien avec les questions de notre temps. Je suis une violoniste dédiée à la musique de l’époque baroque, et je suis une femme vivant au 21e siècle, consciente des enjeux de son époque, notamment environnementaux. Dans mon travail, la musique et la nature sont indissociables. En partant d’un répertoire musical en lien avec la nature, je peux ainsi évoquer ce sujet avec les spectateurs et, surtout, amener à la musique baroque un public qui ne s’y serait pas intéressé.
La musique baroque évoque-t-elle souvent la nature ?
Oui ! À l’époque baroque, la question de la nature était omniprésente. On connait bien sûr les Quatre saisons de Vivaldi, partition dans laquelle l’orchestre imite les oiseaux, le vent, la neige, etc. En France, je pense tout de suite à François Couperin qui a composé de nombreuses pièces évoquant aussi les oiseaux. En Allemagne le violoniste Henrich Biber imite le coucou, le chat, le rossignol, la poule ou encore la grenouille. Ces morceaux ont eu beaucoup de succès et ont lancé une mode. Ce principe d’imitation – qui fut le sujet de mon mémoire de fin d’études – est un outil formidable pour amener la musique à tous les publics. Chacun peut s’amuser à reconnaître le chant du coucou dans un morceau, c’est facile. Et ce motif très simple a donné lieu à des pièces très virtuoses !
Quelle était la vision de la nature à travers les arts à l’époque baroque ?
On a toujours évoqué la nature dans les créations humaines. Mais à l’époque baroque, très clairement, on préfère alors l’art et l’artifice au naturel. Les perruques plutôt que les vrais cheveux, en sont un symbole. Les jardins « à la française » ne sont qu’une maîtrise parfaite de la nature. On apprend même en masse aux oiseaux à siffler nos airs à la mode ! Le nom de mon ensemble, Artifices, vient de cette constatation.
En quoi cette vision est proche de celle de notre époque ?
À Versailles, Marie-Antoinette se fait construire une ferme pour jouer à la paysanne… quelques années avant la Révolution française et la révolte du monde rural. Exactement comme à notre époque, plus on s’éloigne de la nature en voulant la dominer, plus on l’évoque dans les œuvres d’art. Nous aussi, nous parlons d’une nécessaire « révolution » pour changer notre modèle économique. Il y a un énorme parallèle à faire entre leur vision de la nature et la nôtre.
Les ateliers de l’ensemble Artifices n’impliquent pas que des musiciens…
En effet. À la suite de la publication de mon mémoire, j’ai été contactée pour parler de ces sujets, et notamment de l’apprentissage de la musique aux oiseaux. L’ensemble Artifices s’est associée à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) afin de profiter des concerts pour sensibiliser le public à la disparition des oiseaux. Cet été nous organisons un festival, du 8 au 13 juillet 2022, autour du thème des insectes et des tarentules : tous les jours seront organisés des conférences scientifiques et des concerts. Et aussi un bal où le public dansera des tarentelles : ces danses étaient censées guérir des piqures de cette araignée mythique et mortelle, la tarentule.
Ce festival aura lieu chez vous, à la Turbine…
J’ai fait un choix audacieux pour une musicienne professionnelle : renoncer aux cachets des orchestres parisiens et m’installer en pleine forêt ! Je développe mes activités depuis la Bourgogne. À la Turbine, entre Beaune et Chalon-sur-Saône, nous recevons du public et organisons des ateliers de découverte de la musique. Nous avons une programmation sur la nature et la musique, et même une exposition dans la forêt. Cet engagement local parle beaucoup aux financeurs que sont les collectivités locales, et même aux mécènes comme la Fondation Société Générale. C’était un pari osé, mais la crise actuelle nous donne raison.
Pour en savoir plus sur l’ensemble Artifices, vous pouvez consulter le site dédié en cliquant ici.