Que signifie le terme « estampe » ? Quelles sont les origines et l’histoire de ce procédé artistique ? Quel intérêt pour le collectionneur et la collectionneuse ? Comment caractériser le marché des estampes aujourd’hui ? À ces questions et d’autres encore, Frédérique Darricarrère-Delmas, Directrice du département des estampes chez Christie’s à Paris, répond à Laurent Issaurat, Responsable Art Banking au sein de Société Générale Private Banking France.
Frédérique Darricarrère-Delmas
Diplômée en droit et histoire de l’art, Frédérique a débuté sa carrière à l’étude Tajan et a rejoint Christie’s Paris en 1999 en tant que spécialiste en estampes. Nommée Directrice du département des estampes en 2003, elle a travaillé à de nombreuses ventes internationales dans cette spécialité, allant des estampes de maîtres anciens aux artistes contemporains.Comment définir une « estampe » et quel est le point de départ de ce procédé d’impression dans l’histoire de l’art et de l’artisanat ?
Le terme estampe désigne une œuvre d’art imprimée, réalisée en plusieurs exemplaires, quelle que soit la technique d’impression utilisée. L’estampe "œuvre d'art imprimée", trouve ses origines en Chine au IIe siècle après J.-C., puis au Japon à partir du VIIe siècle après J.-C. Les premières techniques impliquent la gravure de motifs sur des blocs de bois, ensuite transférés sur du papier ou du tissu en pressant le bloc encré ou peint, similaire à l'utilisation d'un tampon.
En Occident, l'estampe a émergé plus tardivement qu'en Asie, vers le XIVe siècle après J.-C. Initialement, elle était utilisée pour créer des images par impression, plutôt que par peinture ou dessin, souvent pour la production de textiles avec des motifs répétitifs. Plus tard, cette technique s'est étendue à d'autres supports comme le vélin et le papier, avec l'établissement des premiers moulins à papier en Europe vers cette époque.
Il ne reste que très peu d'exemples de ces premières impressions réalisées par des artisans anonymes. Les premières gravures semblent être des images destinées à la dévotion privée, telles que l'Homme des douleurs, la Vierge ou un Saint, représentées dans des contours relativement simples et destinées à être colorées à la main. Le développement de l’estampe va ensuite s’accélérer considérablement, grâce aux débuts de l’imprimerie en Europe (1450). Il existe aujourd’hui de nombreux types d’estampes et les artistes, jusqu’au XXIe siècle, se sont appropriés et ont amélioré les techniques au fil des siècles. Les quatre techniques les plus connues sont l'eau-forte, la lithographie, la sérigraphie et la gravure sur bois. Pour finir, une estampe n’est pas la copie d’un original, c’est une création originale réalisée par un artiste. À l’époque moderne, elle résulte d'une étroite collaboration entre l'artiste et l'atelier d'impression. Les imprimeurs qui travaillent avec l'artiste pour produire une édition sont des techniciens hautement qualifiés et souvent des artistes à part entière.
Quels sont aujourd’hui les compartiments et la taille du marché des estampes ? Quels sont les prix ?
Le marché des estampes s’inscrit dans un contexte plus général, qui distingue les « maîtres anciens », qui vont des origines de l’estampe jusqu’à Francisco de Goya (1746-1828) d’une part, et les « modernes et contemporains », du XIXe siècle à nos jours, d’autre part. Le marché mondial des estampes représente, pour les trois principales maisons de vente internationales, un chiffre d’affaires agrégé de l’ordre de 170 millions USD(1) en 2023, dont Christie’s représente un peu plus de 45 % (avec 80 millions USD). Les ordres de prix sont très variables, ce qu’illustrent nos dernières ventes. Je mentionnerai par exemple :
- « Minotaure aveugle guidé par une fillette dans la nuit » planche signée, issue de la Suite Vollard, édition à cinquante exemplaires sur papier avec grandes marges, a été adjugée prix marteau 100 000 GBP,
- un « Chapeau épinglé » de Pierre-Auguste Renoir, lithographie en couleurs de 1898, issue d’une édition à deux cents exemplaires, adjugée prix marteau 32 000 GBP(2),
- et « Trois anges » de Marc Chagall, de 1980, signée au crayon et annotée (épreuve d’artiste), adjugée prix marteau 2400 GBP.
Comment les estampes s’intègrent dans une collection ?
L’un des grands intérêts des estampes est qu’elles donnent la possibilité de posséder un sujet authentique et emblématique sans que son prix ne dépasse les sept chiffres, comme le montrent les exemples précédents. Elles constituent donc un excellent moyen de débuter une collection — une façon de se familiariser avec des styles et des artistes, mais à un prix différent. Les estampes peuvent aussi permettre de compléter une collection, en intégrant dans celle-ci des thèmes et des compositions que l’on retrouve dans les peintures ou les sculptures, mais avec un autre medium. Les estampes de Picasso et de Jasper Johns montrent l'évolution de leurs sujets artistiques et de leurs compétences de graveurs au cours de leur carrière. Picasso a inventé des méthodes d'impression totalement nouvelles, Warhol a poussé les imprimeurs avec lesquels il a travaillé tout au long de sa carrière et Johns continue de créer des estampes nouvelles et passionnantes à plus de 80 ans.
Quels sont les conseils à donner pour bien choisir/acheter une œuvre ?
Dans notre spécialité, l’un des grands sujets est de s’assurer de l’authenticité des épreuves, il n’y a pas ou très peu de certificats d’authenticité délivrés par des experts ou les ayants droit. Les estampes présentées en vente publique sont cataloguées par des spécialistes ou experts, dont l’expertise s’appuie sur leurs connaissances des artistes, des techniques, du papier et du marché. Ils travaillent sur des comparaisons d’épreuves (œuvres) avec d’autres exemplaires similaires détenus par des musées ou bibliothèques et référencés dans des catalogues raisonnés. D’une façon générale, il est recommandé de s’adresser à une maison de vente aux enchères internationale ou une galerie spécialisée reconnue, au moment de l’acquisition d’une estampe. Ce sont ces professionnels du marché qui seront en mesure de certifier les informations essentielles, qui participent à la valeur d’une épreuve, notamment, l’authenticité du tirage, du papier, de la signature (pour les épreuves modernes et contemporaines), l’état de conservation, la cote de l’artiste et son marché actuel, la cote de l’épreuve désirée.
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